Alexandra Borchio Fontimp

Revue GEEA : La sécurité et l'économie

Protégeons la cuisine du terroir, de transmission, cultivons l’âme de la France ! par Alexandra Borchio Fontimp

Les spécificités locales ne font pas seulement partie de notre patrimoine culinaire, elles sont une vertèbre indispensable dont l’affaiblissement entraînerait l’affaissement de toute la Culture française en général. Alors que les créations picturales ou encore musicales, pour ne citer qu’elles, sont protégées, la créativité culinaire française est, quant à elle, enfermée dans un flou juridique qui n’est plus acceptable. C’est pourquoi, en étroit lien avec des associations et des avocats spécialistes,
Alexandra Borchio Fontimp, sénatrice des Alpes-Maritimes, a déposé le 6 avril 2023 une proposition
de loi visant à garantir la protection des recettes régionales françaises et des créations culinaires.

Quelles ont été les sources à l’origine de votre proposition de loi ?

Je crois que la cuisine est une partie indéniable de notre patrimoine. Comme la Tour Eiffel, les châteaux de la Loire ou le Mont Saint-Michel, il m’est impossible d’accepter qu’on puisse faire tout mais surtout n’importe quoi avec ces monuments de nos cultures régionales.

L’idée de cette proposition de loi m’est venue en réalité dans les rayons de mon supermarché. En faisant mes courses, je me suis rendue compte que certains industriels avaient la fâcheuse tendance de dévoyer les recettes de mon enfance dans le seul objectif de faire plus de profit. Or, galvauder le contenu de la salade niçoise, du pan bagnat ou de la choucroute relève de l’hérésie culinaire.

C’est pourquoi, j’ai souhaité rédiger en étroite collaboration avec Maitre Thimothée Fringans-Ozanne, Présidente de l’association Toqualoi et suite à de nombreux échanges avec Frank Viano, Président de l’association Cuisine Niçoise une proposition de loi qui vise à préserver nos spécificités.

Concrètement, de quoi est composée votre proposition de loi ?

Ma proposition de loi est avant tout incitative, elle vise à proposer des solutions structurées et structurantes pour garantir la pérennité de notre cuisine régionale. Loin de vouloir pénaliser les amateurs de cuisine comme les grands chefs, elle a pour objectif de décourager certains industriels du secteur de l’agro- alimentaire qui détournent la composition originelle d’un plat en le vendant en pleine conscience sous l’appellation de « cuisine traditionnelle régionale ».

Plus précisément, ce texte prévoit le renforcement des pouvoirs et des compétences de l’institut national de la propriété industrielle, la mise en place d’un répertoire des recettes régionales françaises, la création d’une mention « recette régionale française » symbolisée par le logo ci-contre ou encore la création d’un certificat de création culinaire.

Quelles sont les conséquences issues de votre proposition de loi ?

Les conséquences de notre travail législatif sont multiples mais si je devais les résumer en une phrase, j’aurais tendance à vous dire qu’il s’agit « de rendre à César ce qui appartient à César ».

Notre travail a eu pour objectif d’offrir un cadre juridique à un domaine initialement peu ou pas encadré par le droit positif. À l’image des brevets très répandus dans le milieu entrepreneurial, le certificat de création culinaire vise à établir sous certaines conditions un titre de propriété industrielle. De cette manière, l’objectif est de protéger le créateur des usurpateurs en lui conférant un droit exclusif d’exploitation.

De plus, notre proposition a pour but de sanctuariser une partie essentielle de ce qui fait l’histoire de France. Par la mise en place d’un répertoire des recettes régionales françaises, nous permettons dans un souci de transmission aux générations à venir la reproduction à l’identique des plats régionaux de leurs aïeuls.

Par ailleurs, à l’image de la mention « Appellation d’Origine Contrôlée » bien connue par les consommateurs français, nous souhaitons que soit mis en place la mention « recette régionale française » afin de rendre un hommage supplémentaire à un plat qui, par la seule existence composerait une partie du patrimoine culinaire français.

Enfin, même si comme je le disais précédemment, la proposition de loi a un objet essentiellement incitatif, nous avons souhaité mettre en place en dernier recours et lorsque la mauvaise foi ne fait nul doute, la possibilité pour la personne qui estime avoir un droit sur le certificat de création culinaire ou la personne lésée de revendiquer en justice la propriété de la demande ou du certificat de création culinaire délivré. Ainsi, lorsque le caractère incitatif ne permet pas de résoudre le conflit, la justice civile et pénale prendra le relai pour sanctionner tout acte constitutif d’un acte de contrefaçon.

Pourquoi est-ce si important ?

À l’heure où notre pays traverse une perte de repères sans précédent, il est fondamental de tenter humblement de rebâtir des garde-fous.

La France est le fruit de son histoire et puise ses racines au plus profond des âges. Si l’incendie de Notre-Dame a eu pour certains l’effet d’un électrochoc rappelant que notre pays se composait d’un patrimoine bâtimentaire extraordinaire, je crois qu’il est opportun de rappeler que la France est aussi le fruit de son patrimoine immatériel, de ses savoir-faire et de son patrimoine culinaire.

Ainsi, dans cet objectif, l’introduction d’une protection juridique de nos recettes traditionnelles régionales et créations culinaires nouvelles permettrait d’une part une plus grande valorisation de nos magnifiques territoires et encouragerait véritablement d’autre part l’innovation culinaire.